Si la révolution iranienne fait la même chose que le Shah et tue la liberté d’expression et de manifestation, elle sera balayée. Dixit un intellectuel Iranien en 1979.
Euh! Après quarante ans où est l’erreur?
En Iran, le despotisme (zourgoui) et l’obéissance aux despotes sont des phénomènes culturels profondément enracinés ; ils ne disparaîtront pas du jour au lendemain, ni même avec une autre révolution. Dès l’instauration de la République islamique (Velayat-e Faqih), le despotisme a été renforcé par les édits de la Charia, qui doivent être observés sans contestation, sans la moindre critique.
Façonné de la sorte par les ayatollahs, l’Iran doit atteindre un stade solide de développement social dit « pieux et islamique ». Par conséquent, les habitudes de la population doivent être minutieusement réformées, par le lavage Islamique des cerveaux, en adoptant trois méthodes:
- 1. le nettoyage des « éléments étrangers », c’est-à-dire la persécution des minorités religieuses et ethniques ;
- 2. l’imposition de l’Islam Chiite à tous les niveaux de l’éducation nationale ;
- 3. le contrôle strict de l’information et la propagation de la désinformation.
Le point discuté dans cet article est le premier.
La société pieuse et islamique s’avère être une société réactionnaire, autoritaire, et nationaliste. Non seulement la population s’y retrouve piégée, mais les ayatollahs démoniaques s’y sont également embourbés. Le Velayat-e Faqih subit le retour de flamme d’un feu qu’il a attisé. Les ayatollahs ont façonné toute une génération de jeunesses soumises, facile à régenter. Mais, in fine, la génération obéissante sans but ni responsabilité est une charge et une source d’inquiétudes grandissantes.

La notion de démocratie est antinomique avec la culture iranienne. Suivre un leader à l’aveuglette et l’acclamer sans réserve est le paradigme de la scène politique. En 1979, la hiérarchie chiite a substitué de fait un patriarche médiéval au Shah, qui avait déjà le même pouvoir divin absolu. Cependant, le Shah avait besoin du soutien religieux pour se maintenir, tandis que le Vali-e Faqih est un ayatollah lui-même, primus inter pares, et n’a besoin de faire de concessions à aucune force politique interne. Il n’a rien à craindre. La moindre agitation sociale est étouffée dans l’œuf.
L’avènement de la démocratie dans un pays est le résultat de luttes internes et de l’apprentissage continu des erreurs du passé. L’histoire iranienne du siècle précédent est témoin de plusieurs révolutions et émeutes qui ont fait disparaître deux dynasties royales, mais peu de leçons en ont été tirées. Être sous la coupe d’un guide suprême et d’un patriarche médiéval au XXIe siècle en est la preuve flagrante.
Les peuples qui ont œuvré pour se libérer des dictatures dans leurs pays ont profité d’opportunités qui se sont présentées pour faire avancer la cause de la liberté. Ils se sont battus dans leur propre pays et, quand cela n’a pas été possible, se sont exilés vers des cieux plus cléments afin de poursuivre leurs luttes.
En Iran l’histoire est tout autre: une dictature se meurt pour laisser la place à une autre. Les occasions qui se sont présentées pour se rapprocher d’un système qui respecterait les libertés individuelles ont été gâchées. Les exilés et réfugiés iraniens en Occident ont peu de volonté et encore moins de savoir-faire pour créer des élans d’unité et de collaboration. Ceux qui mouillent leurs chemises dans ce but font face aux insultes, moqueries et diffamations de leurs propres compatriotes. Pire, la bêtise et la désinvolture généralisée font souvent d’eux des complices silencieux des ayatollahs à Téhéran. L’asthénie et surtout l’inexistence de mouvements d’opposition crédibles en est la preuve flagrante.
En Europe, au cours des discussions sur la question du nucléaire en Iran, les services locaux de sécurité n’avaient pas de souci à se faire en ce qui concerne les protestations contre le régime de Téhéran : elles étaient invisibles. Il était impossible d’en rencontrer dans un rayon de 100 kilomètres autour des hôtels hébergeant les délégations.
La persécution des minorités: nettoyage des «éléments étrangers»
Depuis que la hiérarchie chiite a pris le pouvoir, les adeptes des religions autres que le chiisme et pour lesquels l’Iran est aussi leur terre ancestrale ont été persécutés. En 1978-79, pendant la lutte des religieux avec la monarchie, où les mollahs avaient besoin du soutien de tous, cette question avait été soigneusement escamotée. Même si R. Khomeiny dans ses anathèmes lancés depuis la France y faisait allusion, ses responsables de communication savaient comment faire barrage aux questions trop incisives des journalistes occidentaux. Le slogan « Le Shah doit partir » avaient aveuglé la majorité des gens en Iran. Si un petit malin voulait en savoir davantage, simplement par souci de prévoyance, il était aussitôt traité de «larbin du Shah et des Américains».
S’enthousiasmer pour un slogan unique, le suivre aveuglément, s’agiter sans réfléchir, et se vexer à la moindre critique, tous ces éléments sont les fondamentaux qui permettent de comprendre les activités politiques et agissements sociaux dans le pays. Très peu de gens ont conscience de cette faiblesse destructrice, ce qui fait que les régimes tyranniques sont acceptés et suivis aussi facilement. Pour le professeur d’université, l’homme à tout faire d’une épicerie, le poète ou le maçon, la difficulté à mener un débat, et/ou le manque de volonté d’apprendre est criarde, aujourd’hui comme hier. Éveiller les élèves à la curiosité saine et à la discussion sereine malgré les différences d’opinions est écarté des salles de classes.
Petit à petit, à la suite de la révolution de février 1979, les minorités religieuses et ethniques ont été bannies de diverses façons. La répression a défini les lignes de l’idéologie islamique : ceux détenant le pouvoir politique sont les vrais croyants. Les autres, même les musulmans d’une doctrine différente, sont impurs, kafer : convertissez-les, chassez-les, ou tuez-les.
Les leaders des communautés religieuses et/ou ethniques ont été assassinés et leurs propriétés confisquées. Les professionnels ont été accusés à tort d’actes criminels puis condamnés, toujours sans preuves et souvent sans tribunal, ou simplement assassinés. Aujourd’hui le calme règne car les minorités ont été décimées, et leurs membres font preuve d’une discrétion absolue.
La jeune génération s’est vu refuser l’accès aux universités et aux fonctions publiques. Des expressions haineuses à leur égard ont été propagées et leur utilisation encouragée.
Les persécutés – parce qu’ils n’étaient pas chiites et parce qu’ils étaient issus de groupes ethniques autres que ceux des Fars – craignant pour leur vie ont quitté leur pays et celui de leurs ancêtres. L’Iran a perdu le potentiel de certains de ses éléments les plus talentueux, éduqués et disciplinés.
De nos jours, si une discussion sur les minorités est engagée avec un jeune de Téhéran, elle est vite écourtée. Il considérera le sujet comme obsolète, de l’histoire ancienne. Aujourd’hui, tous ceux ayant participé aux crimes de «nettoyage des éléments étrangers» sont aux postes clés dans la République Islamique. On oublie trop vite que le passé proche et l’histoire construisent notre quotidien et sont les tremplins pour envisager le futur.
La puissance d’un pays se mesure à la somme du total des diversités religieuses, ethniques et à la protection sans concession des libertés individuelles. Chaque individu fait de son mieux et dans la mesure de ses possibilités pour résoudre les problèmes, petits ou grands. Dans l’avenir, mener une coexistence pacifique dans le respect et la confiance mutuels ne sera pas aisé, et cela ne se fera pas avec des paroles vides de sens et des dérobades. Une volonté d’agir fermement est nécessaire, sur le principe de «Tous égaux dans le pays».
Être un chiite de Téhéran, Qom ou Khorasan, n’est pas une garantie d’excellence en matière d’art, de pensée, et d’action. Au contraire, les dogmes des ayatollahs conduisent au blocage des réflexions, ainsi qu’à des vues courtes et des jugements hâtifs.
Islam politique et vie sociale
Les chiites laïques eux-mêmes ne sont pas à l’abri de la répression. Ce qui compte est ce que le Leader affirme et que ses mollahs mettent à exécution. Depuis 1979, la mécanique de la tyrannie de l’Islam chiite a appris de ses erreurs. En 2015, elle est désormais bien huilée.
Dans les activités quotidiennes, personne ne doit oublier le patriarche médiéval, le Guide suprême. Son portrait est affiché dans les salles de classe, le lieu de travail, les magasins, les transports publics, et peint sur les façades des bâtiments. Lorsque cela est nécessaire, une immense photo de lui sur tôle est érigée au sommet d’une structure métallique robuste. Pour les habitants des villes iraniennes, ces photos et portraits font partie du mobilier urbain et du décor dans les bureaux. Voir la bouille de Sa Grandeur est une habitude et les en priver crée en eux une sensation de manque.
Dans un pays où la poésie est vénérée, les slogans simplistes et rimés conviennent aux esprits non avertis ; ils sont inscrits en marge des portraits. Une fois lus, ils restent en mémoire.
Dans l’Iran moderne, l’entête de tout document imprimé est بسم الله الرحمن الرحيم ou sa version tronquée: باسمه تعالی. Qu’il s’agisse d’un article académique, d’une facture de gaz, d’une composition d’école, ou d’une note interne dans une entreprise privée, l’une de ces deux formules doit être mise en entête. L’oublier sur une lettre administrative ou sur la page de garde d’un livre met l’auteur dans l’embarras et les difficultés surgissent… Personne n’échappe à l’Islam chiite.
La peur : l’arme absolue de l’Islam
En créant une société « pure et islamique », le but est de semer et faire pousser les graines d’une culture réactionnaire, autoritaire et nationaliste par le lavage de cerveau. Instiller la peur en est la première étape. L’esprit engourdi par la peur ne défie pas l’autorité ; et les sujets à l’esprit engourdi ne se rebellent pas.
La peur est toujours efficace pour lutter contre le rebelle amateur et maladroit. La brutalité et la sauvagerie sans mesure créent à l’intérieur du peuple qui les subit des rebelles prêts à prendre les armes. Mais la peur savamment dosée le prépare petit à petit à l’obéissance absolue et lui lave le cerveau. L’individu craintif ne pense même plus à s’opposer. Avec le temps et l’accoutumance qui en découle, une crainte persistante agit de façon mécanique. Si un sujet commet une erreur, il se rétractera et fera repentance facilement.
Les tribunaux révolutionnaires condamnent hâtivement à de lourdes peines ou à la mort sur le chef d’inculpation «d’être un ennemi de l’Islam», c’est-à-dire d’avoir désobéi aux diktats de la charia des ayatollahs. La charia est une longue liste d’interdits basés sur la ségrégation entre les sexes et l’humiliation des femmes, tueuse des libertés individuelles et droits humains. Pour chaque effraction, un châtiment barbare est prévu : flagellation, lapidation, viol, mutilation, torture et exécution.
Les pendaisons publiques, de deux à cinq condamnés à la fois, ont lieu dans les zones surpeuplées, de préférence le matin aux heures de pointe quand les enfants vont à l’école et les adultes au travail. Les «mécréants» se balancent au somment d’une grue ou d’un pilier de pont pendant une heure ou deux. La scène est commentée, et il se trouve même des crétins pour faire des blagues obscènes.
Les enfants grandissent en étant témoins de ces scènes et ressentent la peur des adultes. Aucun père ni aucune mère ne soignent leur fils qui a été fouetté de gaité de cœur, il n’existe pas de parents souhaitant être témoins des misères de leur fille violée, et personne, pas même dans ses pires cauchemars, ne pense devoir un jour enterrer anonymement le cadavre mutilé et torturé de son enfant.
Les ainés, malgré le respect qui leur est dû, et dans la mesure où ils sont suivis dans leurs pensées et que les plus jeunes copient leurs façons de faire sans les remettre en question, ont leur part de responsabilité dans le maintien de cette situation affligeante. Car pendant des décennies et sous l’influence et la manipulation de leurs parents, ils ont gobé les inepties des mullahs et ont éduqué leur progéniture dans la peur et les niaiseries religieuses. En Iran, il est plus facile de vivre avec la crainte et les flatteries grotesques que vouloir se battre pour une vie meilleure et s’efforcer de penser et agir calmement mais fermement, dans la durée.
L’éducation sociale du Leader suprême est basée sur la peur : il faut craindre Allah, son Prophète, l’enfer, l’instituteur, etc., la liste est longue. On ne peut avoir une confiance absolue dans une génération qui a grandi avec la peur dans les tripes : elle est imprévisible, morose et fuit ses responsabilités tout en tendant la main pour quémander la charité au Leader. Pour sa survie, il était nécessaire au Guide Suprême de diriger une troupe dévouée à sa personne et qui serait facile à mobiliser pour accomplir les sales besognes : les Bassijis, apparus pendant les années de guerre contre l’Irak sont au service des ayatollahs et surveillent leurs concitoyens. Mais leur fidélité se mesure au montant de leur solde ; plus leur récompense est grande et plus leur fidélité est importante…
Mais quand il faudra racler les fonds de tiroir et que les soldes resteront impayés, qu’arrivera-t-il ?
Cette inquiétude a conduit le Guide Suprême d’Iran à la table des négociations avec l’Occident pour trouver une solution aux questions du nucléaire et à la crise que lui-même et ses pasdaran (IRGC) ont créée. Ce qui importe dans ces négociations est la levée des sanctions financières internationales, pour le reste… on verra. Dans de telles conditions, le despotisme iranien, grâce à l’aide de l’Occident, s’achètera quelques années supplémentaires pour poursuivre son règne.
Mais pour combien de temps ?