Résister à l'Islam Politique

Caricatures et Gol-Mohammadi en Iran

Islam contre caricatures et les Gol-Mohammadis: La satire met les superstitions religieuses et sa tyrannie sous pression.

Caricatures et Gol-Mohammadi en Iran

Ici, nous reprenons un extrait des Carnets d’Iran publié en 2010. Cet extrait a été écrit en 2006, lors du premier épisode de « Islam contre Cartoons ». La satire et la caricature sont des miroirs qui reflètent une société et mettent les superstitions religieuses et des dogmes sous pression. L’Islam et la tyrannie vont de pair depuis des siècles. Le temps est venu pour remettre en question ce que l’on croit être des traditions mais qui donnent le pouvoir aux hommes sans foi ni loi et des excuses aux comportements abominables des losers.

Le slogan:

« Nous aimons le Prophète plus que nos parents et nos enfants », criait une multitude de manifestants à Islâm-istan en brandissant le Coran.

Khayyâm répondit:

La taverne se remplit grâce à nos errances
Les impies s’assemblent autour de leurs souffrances
L’Islam en lui-même n’a rien de malfaisant
Ceux qui le dénaturent sont nous les musulmans.

ﺁﺑﺎﺩﻯ ﻣﻴﺨﺎﻧﻪ ﺯ ﻭﻳﺮﺍﻧﻰ ﻣﺎﺳﺖ
ﺟﻤﻌﻴﺖ ﻛﻔﺮ ﺍﺯ ﭘﺮﻳﺸﺎﻧﻰ ﻣﺎﺳﺖ
ﺍﺳﻼﻡ ﺑﻪ ﺫﺍﺕ ﺧﻮﺩ ﻧﺪﺍﺭﺩ ﻋﻴﺒﻰ
ﻋﻴﺒﻰ ﻛﻪ ﺩﺭﺍﻭﺳﺖ ﺍﺯﻣﺴﻠﻤﺎﻧﻰ ﻣﺎﺳﺖ

Les Gol-Mohammadis

Téhéran, avril 2006

Je vais organiser une fête malgré la période de deuil général à observer. Pendant les mois de Moḫaram et de Safar, les commémorations de deuils religieux sont à répétition. Dans mon enfance, il fut un temps où l’on se devait de porter le deuil des emâms morts il y a plus de mille ans comme si l’on venait de perdre sa mère.

Toute manifestation de joie, même en privé, était un écart méritant un reproche sévère. Dans les familles bigotes, et il y en a beaucoup en Iran sinon la République Islamique n’aurait pas tenu ces trente dernières années, les enfants devaient aussi porter du noir et pleurer sur commande. Rire, se chamailler, jouer au gendarme et au voleur étaient bannis pendant ces deux mois de deuil. Les chiites se réunissaient avec des têtes d’enterrement. Les petites fêtes n’étaient pas de mise ; plus de âdjil, ni de bonons ; on ne devait plus regarder la télé ou écouter de la musique. Les cinémas fermaient.

Je garde un souvenir de suffocation de cette période. Dans les familles shiites olé-olé, la planche de salut pour échapper à cette punition collective était d’aller se réfugier chez des chrétiens ou des sunnites.

Les mois de Moḫaram et de Safar étaient et sont la période faste des âkhonds pour se faire du fric, exactement comme la période de Noël pour les commerçants. Les Rowz̥ahs et les Naz̈rs, symboles de la superstition et de l’ostentation chez les Iraniens chiites, se succèdent à un rythme soutenu.

Les familles organisatrices rivalisent d’imagination pour en mettre plein la vue. Les âkhonds enchaînent les prêches. Les dignitaires du clergé officient chez les notables, touchent des sommes rondelettes et se font une provision de faveurs pour l’avenir ; les mini-mollahs fraîchement émoulus, les djoudjah âkhonds, se contentent de repas gratuits et d’une bonne-main chez les pauvres.

Grâce aux paradoxes de la République Islamique très Shiite, les choses changent. Dans les cercles privés la rigueur du deuil a fortement diminué pendant les mois de Moḫaram et de Safar ; on fait aujourd’hui malgré une certaine rigueur apparente, les gens se relâchent. Demain, j’ai foule à la maison. J’espère que je n’ai oublié personne, ni un cousin, ni une tante. Pour une fête-mehmâni élégante, il est préférable d’acheter des pâtisseries à l’européenne, dites danoises, dânmârki. Je vais dans un magasin coté et chic pour acheter des shirinis dânmârki. Au comptoir, le mot dânmârki est barré mais lisible, en dessous l’on a ajouté gol-mohammadi.

La cliente qui me précède, maquillée comme une poupée avec lèvres et nez remodelés par un chirurgien esthétique, porte un manteau islamique tellement moulant que chaque bourrelet s’apprécie à sa juste valeur. Elle commande deux kilos de diverses pâtisseries dânmârki. Le chef de rayon la reprend doucement : « Chère Madame, ce sont des gol-mohammadis. » La réplique de la cliente est cinglante ; une salve d’injures à l’égard du chef de rayon et des lubies du monde musulman. Il fut un temps où les Iraniens avaient le sens de l’humour et de l’autodérision. Aujourd’hui, l’énervement et l’agressivité ont remplacé le rire et la complicité qui rendaient la vie douce. Derrière le comptoir, les portraits austères des Guides Suprêmes, Khomeiny et Khamenei, me rappellent que les temps changent et que beaucoup en ont ras-le-bol de retrouver l’Islam dans leur assiette.

A mon tour, tout en choisissant mes pâtisseries, je demande au vendeur: « Monsieur, vous n’avez pas mieux à faire que de vous créer des problèmes avec le nom de vos pâtisseries ? »
Résigné et typiquement à l’iranienne, il me répond : « Madame, dans ce pays, même faire des pâtisseries devient un acte politique. Si je continue à les appeler dânmârki, je donne une bonne excuse aux bassidjis pour saccager mon magasin. Si j’insiste sur gol-mohammadi, les clients m’engueulent. Je fais ce que je peux pour gagner ma vie. »

Au retour, je pense à l’expert d’une chaîne de TV occidentale par satellite qui avait pontifié sur la gravité symbolique des caricatures de Mahomet pour un peuple musulman. Je me résigne, tout comme le pâtissier. En Europe, nous regorgeons d’analystes formatés, experts de pays dont ils ne connaissent ni la population, ni la langue, ni la mentalité. La campagne gol-mohammadi iranienne est un acte de propagande médiatique aussi puéril que celui des « freedom fries » des députés de Washington. Vexés par le refus des Français de participer à l’envahissement de l’Irak, en 2003, un(e) député(e) républicain(e) avait milité pour changer le nom des frites, french fries aux Etats-Unis, en freedom fries, frites de la liberté.

La stupidité n’est pas l’exclusivité des Islamistes. Les visages pâles de Washington se défendent très bien; entre bigots, on se comprend toujours.

* * *

Fin septembre 2005, un journal régional danois Jyllands-Posten publie douze caricatures avec pour sujet Mahomet et les musulmans. Elles passent inaperçues. Il faudra aux Islamistes près de trois mois de remue-ménages intensif pour imposer leur dossier dans les milieux politiciens musulmans internationaux. La Ligue Arabe prendra son temps pour protester. L’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) l’évoque en décembre. Au début janvier 2006, la Ligue Arabe et le gouvernement danois ont quelques échanges diplomatiques en langue de bois.

Vers le 10 janvier, un hebdomadaire norvégien imprime les douze caricatures, c’est alors que se déclenche une contestation planétaire. Les Islamistes crient au blasphème, à la vengeance, à la haine, à la mort. Les médias européens, agacés, revendiquent haut et fort la liberté d’expression; l’OCI sort la grosse artillerie: agissements islamophobes, violation des déclarations des Nations Unies et de l’éthique internationale. Les déclarations officielles des dictatures des pays musulmans se succèdent : Jordanie, Arabie Saoudite, Koweït, Yémen, Libye.

Février 2006 est le mois de tous les pourrissements. À Paris le quotidien France-Soir publie l’intégrale des caricatures ; son directeur est limogé. D’autres médias s’abstiennent de les publier ou réfléchissent à la question. Des attaques contre les représentations diplomatiques et des établissements commerciaux danois et norvégiens commencent en Syrie, puis continuent au Liban, au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs dans des pays musulmans. Sous l’œil des médias internationaux, on brûle des ambassades, des consulats, des banques, des centres commerciaux et des voitures. On attaque les églises et les chrétiens. La surenchère des manifestations va en augmentant, les participants rivalisent de slogans haineux; il y a des morts et des blessés, des musulmans piétinés par d’autres musulmans. Avec le feu et le sang en arrière-plan, les visages barbus enlaidis par la violence passent et repassent à la une des téléjournaux.

L’emballement médiatique est à son comble quand un ministre italien s’affiche avec un T-shirt arborant l’une des caricatures. Tous les politiciens, européens et moyen-orientaux, reculent devant l’ampleur désormais incontrôlée de la contestation. On appelle au dialogue. On glose sur la liberté de la presse. L’OCI prend ses distances avec les Islamistes : les fatwas de mort envers les caricaturistes sont contraires à l’Islam. Dans la précipitation, les gouvernements européens se lancent dans le financement de projets pour le rapprochement interreligieux. Dans une assourdissante cacophonie, les médias européens s’excusent de la publication des images ou décernent des prix aux caricaturistes. Petit-à-petit, la langue de bois diplomatique et les déclarations de compromis prennent le dessus.

Quatre ans ont passé, le feu couve toujours. Il se réanimera quand les Islamistes en auront besoin. Les Européens se trouveront acculés et sur la défensive. La médiocrité dont fait preuve la classe politique depuis la fin du 20e siècle est flagrante.

* * *

L’affaire des caricatures de Mahomet est en elle-même une caricature de la politique internationale. D’un côté des Islamistes, de redoutables manipulateurs. De l’autre la clique des extrémistes américains qui, dès 2001, n’ont cessé de parler de Guerre des Civilisations, Axe du Mal et Terroristes Musulmans, suivis volens nolens par beaucoup d’Européens. L’Europe a été piégée dans cette affaire, croyant naïvement que l’affirmation de la liberté d’expression plaidait en sa faveur. Avec des réponses juridiques péremptoires à des protestations outrancières, le management technocratique, oreiller de paresse des politiciens, a grandement facilité la tâche des Islamistes.

La liberté d’expression en a pris un sale coup, car les médias formatés et des journalistes aussi incultes que leurs élus ont grandement contribué à détériorer la situation. Il ne s’est pas trouvé grand monde pour dire que dans le subconscient d’un musulman, habité par des décennies de censure dictatoriale, la presse est le porte-parole de l’État. Pour un musulman, quand un gouvernement occidental invoque la liberté d’expression, il ne fait qu’esquiver ses responsabilités.

Personne n’est sorti grandi de cette affaire. La mauvaise foi a fait son chemin autant en Occident que dans les contrées musulmanes. Les xénophobes occidentaux ont mis de l’huile sur le feu pour faire avancer leur agenda de politique interne. En organisant des manifestations véhémentes, les Islamistes ont profité de la liberté d’expression prônée par l’Europe pour cracher sur la liberté d’expression.

En janvier 2006, les ayatollahs de Téhéran sont restés réservés sur la question. Les journaux iraniens, porte-parole des âkhonds, se sont contentés de rapporter les manifestations internationales, sans insister sur l’affront à l’Islam. Le citoyen lambda s’en foutait de toute façon. Ceux qui avaient vraiment vu les caricatures les trouvaient infantiles et de mauvais goût; les plaisanteries entre Iraniens sur les âkhonds et les dérives de la religion sont par contre délicieusement mordantes.

Dès le 4 ou le 5 février 2006, le dossier du nucléaire iranien a refait surface au plan international et la République Islamique a lié par petites touches l’affront à l’Islam au droit absolu du peuple iranien à posséder l’énergie atomique. Mais la ficelle était trop grosse et le pétard mouillé de la République Islamique a fait rire ou grincer des dents.

En attendant le 11 février, jour de la commémoration de la victoire de la Révolution Islamique, les âkhonds ont essayé de chauffer les esprits. Le 6 février, les couches populaires, les étudiants, encadrés de bassidjis mettent le feu aux ambassades du Danemark et de l’Autriche à Téhéran. De deux choses l’une, soit les manifestants étaient payés aux pièces, soit l’AIEA se trouvant à Vienne, il fallait gonfler les pectoraux.

Iran Cartoons Gol-Mohammadi

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