Loi du Talion: Il n’est pas de plus grande douleur que de se rappeler, dans la misère, les temps heureux.Inferno, Dante Alighieri, Illustration by Gustave Doré, Paris, 1861.
Les débuts de la descente vers l’Enfer
Effrayé et pâle, Nassim, un ami de Tabriz, ne trouvait pas ses mots: Vous… vous avez entendu ? Les Hezbollahis ont lapidé une femme à Kermanshah!
Nous étions en 1979, à ce moment-là les vagues d’exécutions sommaires n’en finissaient pas. L’ayatollah pervers et vicieux Sadeq Khalkhali, procureur de la révolution islamique à l’époque, était en tournée dans tout le pays. À chaque fois qu’il quittait une ville, il laissait derrière lui une traînée de sang, des larmes, et un profond sentiment d’injustice.
En 2015, l’opinion publique mondiale est choquée par des barbares tels que le « djihadiste John » de Daesh, mais S. Khalkhali et sa bande de bourreaux leur ont ouvert la voie: terroriser au nom de la Sharia, au nom de Mohammad, au nom d’Allah.
Nous étions outrés par le récit de Nassim. Lapidation? Comment est-ce possible? Nous pensions être civilisés… Depuis, la liste des femmes lapidées en Iran s’est allongée.
La femme lapidée
En 1990, Freidoune Sahebjam publia La femme lapidée. Une histoire de barbarisme.
Aucun animal n’est capable de commettre un acte aussi ignoble que la lapidation. Elle est la forme la plus cruelle que l’être humain ait trouvée pour tuer son semblable. Quiconque tente de la justifier est infâme. En Iran, le sujet est tabou; une impression est vaguement exprimée; on hoche la tête et on passe rapidement à un autre sujet. On a honte et on ne veut pas savoir. Le sujet dérange parce qu’en fin de compte, il faut admettre que ceux qui jettent les pierres sont des gens ordinaires, comme vous et moi.
En 2015, la lapidation fait partie du code pénal iranien. Une femme peut être lapidée à chaque fois qu’un juge islamique l’ordonne. Le président iranien, H. Rouhani, son ministre des affaires étrangères, M.-J. Zarif, pour ne nommer que deux visages connus du régime iranien sur la scène internationale et dans les négociations nucléaires, sont les acteurs d’un système qui a approuvé l’application de la lapidation.
Il n’y a pas de fin à la barbarie. Vendredi dernier, j’ai appris ceci: «En Iran, un homme a été condamné à avoir l’œil crevé, dans le cadre de l’application de la Sharia et conformément à la Loi du Talion».
L’Iran affirme être entré dans le XXIe Siècle avec le développement de la technologie nucléaire et la construction de centrales thermiques à grande échelle; mais les pratiques datant d’une époque ténébreuses y sont conservées ainsi que renforcées par les moyens qu’offre la technologie numérique. «Un œil pour un œil », la Loi du Talion… La honte m’envahit et me décourage. Elle est née en moi en 1979 et ne m’a jamais quitté depuis.
La loi du Talion
Je devais en savoir d’avantage. Comme en d’autres occasions, les médias iraniens restaient muets et mes correspondants en Iran n’en avaient pas entendu parler. Mes connaissances dans la diaspora iranienne en Europe ne voulaient pas en discuter: «Et alors? Je suis occupé(e). Je dois organiser les fêtes de Nouvel An.»
J’aurais dû le savoir.
En Occident, la nouvelle concernant « un œil pour un œil » n’était pas à la une. Les horreurs de Daesh ont anesthésié les médias traditionnels. Quel journal en ferait un gros titre quand le gang de Daesh anéantit des villages, aussi bien les habitants que l’histoire, à Ninive ? On oublie trop facilement que les fondements des autorités de Téhéran et ceux de Daesh s’apparentent. Seul le degré de violence est différent.
Le 5 mars, Amnesty International déclara: «Dans les semaines précédant la séance du Conseil des Droits de l’Homme, les autorités iraniennes ont prévu l’exécution du mineur délinquant Saman Naseem, exécuté six hommes suite à des procès inéquitables, et transféré Atena Farghadani, condamnée pour ses opinions, en cellule d’isolement. Les autorités iraniennes appliquent cette punition macabre à notre époque, et tout cela en dit long sur la vacuité de la rhétorique en Iran sur les réformes et les droits humains.»
Mon esprit s’attarde sur d’autres éléments. La vacuité de notre discours général vis-à-vis de l’Iran, notre amour pour les théories du complot, et notre manque de clairvoyance. Mais également sur notre attitude apathique, notre indifférence. Depuis 1979, Nassim et plusieurs milliers d’autres ont été tués par les autorités islamiques d’Iran. Ils sont déjà oubliés. F. Sahebjam mourut en 2008. Seule une poignée d’Iraniens en Occident s’en souviennent. Cela n’a jamais été publié en Iran.
Bonne Année: Vraiment?
Le Nouvel An iranien (1394) a débuté le 21 mars 2015. Les consommateurs iraniens achètent en grande quantité les produits et futilités que l’industrie et les exportateurs chinois leur proposent. Nous sommes incapables de les produire nous-même, aussi basics soient-ils. Nous sommes obnubilés par nos installations nucléaires. Nous dépensons nos maigres ressources pour le développement militaire, tout en détruisant l’environnement, l’économie et l’avenir de nos enfants.
Au fil des décennies, nous avons tout vu mais rien appris. Nous n’avons pas évolué dans le bon sens, notre esprit s’est rétréci, nous nous sommes remplis de frustration et vidés de toute compassion. C’est ainsi que les ayatollahs nous ont transformés. Tant que ces vilains nous jettent quelques morceaux de pain et fournissent quelques litres d’essence, nous nous abaissons pour leur lécher les bottes. Tant que la triste diaspora iranienne peut se permettre de passer une semaine de vacances à Téhéran et retourner saine et sauve en Occident, elle soutiendra les ayatollahs. Et elle continuera à s’enfoncer la tête dans le sable.
En ce qui concerne la nouvelle année, je reçois des cartes postales contenant quelques rimes d’une poésie d’un autre temps, avec un vœu: «Bonne année».
Il n’y a rien de bon à être les esclaves des ayatollahs et des dogmes islamiques. La civilisation est inexistante lorsque la lapidation et la Loi du Talion sont en vigueur dans le pays. Nous vivons à l’époque des assassins, au siècle des fanatiques, de la mort et de la destruction. Les nouvelles années à venir ne seront jamais heureuses tant que les forces obscures et la peur régneront en maître au Moyen-Orient.