Internet Halal, Yooz: Les à-peu-près-lettrés, mal informés, sont de la pâte à modeler dans les mains des ayatollahs pour forger des xénophobes et des matérialistes. Les à-peu-près-lettrés, mal informés, sont de la pâte à modeler dans les mains des ayatollahs pour forger des xénophobes et des matérialistes.
Au téléphone mon correspondant en Iran était railleur : « As-tu entendu parler de Gooz ? »
J’ai marqué une pause. En farsi Gooz signifie pet, le bruyant (le malodorant a un autre nom) : «Euh… mais encore?»
Lui : « Le moteur de recherche Internet halal iranien est appelé Yooz. Ce n’est qu’un tas de merde. Donc, on l’a baptisé: Gooz. Tu piges?»
L’Internet halal est le réseau internet local, spécifique à l’Iran ; une barrière pour permettre le filtrage et «l’assainissement» du World Wide Web pour les utilisateurs dans le pays. Les autorités considèrent Google et autres moteurs de recherche comme des outils sataniques ayant une mauvaise influence sur la jeunesse et le bon musulman.
Avant de se connecter aux sites iraniens depuis l’extérieur, les internautes avertis vérifient la puissance de leur pare-feu, le routage proxy et les encodages afin de s’assurer qu’un spyware n’infectera pas leur disque dur. Le spyware est gracieusement offert par le service «Iran Filtering», l’institution officielle en charge de l’Internet halal iranien et de l’application des valeurs islamiques sur le Net.
Nous avons voulu tester Yooz [dot] ir par nous-mêmes. Par conséquent, notre expert en connexion Internet a été appelé et le PC mis à l’abri derrière des couches de logiciels de sécurité, au cas où un spyware tenterait de s’y introduire.
Lors de chaque recherche, même pour les plus islamiquement correctes, nous n’avons pu lire que des discours officiels et la propagande des ayatollahs. Comme par hasard, tous les liens menaient à des sites écrits en farsi ainsi qu’à des tas de données factices : beaucoup de mensonges avec un soupçon de vérité.

Notre première recherche portait sur le mot-clé «Khamenei». Yooz nous a fourni des millions de liens iraniens. Après avoir visité quelques pages, Yooz semblait à bout de souffle et s’est bloqué; nous étions dans l’incapacité de cliquer sur la totalité des liens redirigeant vers chaque phrase que cette canaille eût jamais prononcée. Nous avons remarqué la conception des résultats de recherche pour les images de «Khamenei»: scrupuleusement majestueuses, toutes reproduisaient des slogans en son honneur et l’attachement du peuple iranien à sa personne. Il n’y avait aucune caricature, ni moquerie, ni image Photoshop-ée par des critiques.
La suite de nos recherches était: «États-Unis» et «Israël». Qu’espériez-vous ? Acheter des billets pour un spectacle à NY-Broadway ? Trouver un restaurant sympa à Jérusalem ?
Le mot-clé « États-Unis » sur Yooz a produit quelques 88.5 million de liens; à couper le souffle. Une fois que nous avions dépassé tous les liens aux phrases prononcées par les ayatollahs, nous n’avons trouvé qu’un grand nombre d’images liées à des émeutes et des meurtres aux États-Unis.
Le mot-clé « Israël » a abouti à un résultat plus modeste de 26 millions de liens, en comparaison avec la recherche relative aux États-Unis. Tous les articles sur les méchants sionistes et les compétitions de dessins sur le négationnisme de l’Holocauste étaient consciencieusement répertoriés.
Nous avons testé la requête d’images pour «Mohammad Reza Pahlavi», le dernier roi d’Iran renversé par la révolution islamique. Nous n’avons pas compté les résultats de cette requête sur Google, mais il s’y trouve suffisamment de photos pour nous tenir occupés pendant des semaines. Alors que sur Yooz, nous n’en avons trouvé que quelques dizaines, et des billes de banques.

Lassés, nous sommes passés de la recherche de mots-clés à connotation politique à des mots-clés plus orientés vers le tourisme. Le Kurdistan iranien semblait parfait : de beaux paysages, des gens accueillants et des sites historiques à visiter. Nous avons eu droit aux liens gouvernementaux mais à aucune information touristique. Un lien répétitif vers le siège social des prisons du Kurdistan décrit les charmes des enceintes des prisons, relate les comptes rendus d’événements joyeux, publie les programmes de protection des détenus ainsi que la lettre du guide suprême accordant le pardon aux prisonniers. Trop beau pour être vrai.
Tout ceci nous a donné une idée : rechercher des liens en rapport avec le journaliste Jason Rezaian, du Washington Post, arrêté à Téhéran et accusé de tout et de rien, il y a de cela plusieurs mois. Nous nous sommes retrouvés avec plusieurs liens vers le site Washington Post et de nombreux liens vers des sites iraniens sans informations. Le néant, le vide total.
À court d’inspiration, nous avons essayé le mot « tulipe – laleh », la fleur. Le résultat le mieux classé est une phrase du Guide Suprême, Ali Khamenei, dans laquelle il utilise le mot tulipe.
Une fois de plus, nous avons modifié notre domaine de recherche, cette fois-ci à 180 degrés. Nous nous sommes focalisés sur deux mots-clés très prisés dans les moteurs de recherche occidentaux en farsi : sexe سکس, et pute جنده. Les phrases clés avec ces deux noms communs sont les plus utilisées par les internautes iraniens (mâles), à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Iran.
Les liens en rapport avec le mot « sexe » fournis par Yooz nous ont conduits vers des sites contenant des descriptions rigides des droits de la famille ou des diatribes acerbes de la part des ayatollahs contre les déviances des comportements sexuels des Occidentaux. Selon eux, toute personne vivant en Occident est un détraqué sexuel.

Dans Yooz, nous avons alors tapé : جنده, ce qui signifie «pute, prostituée». Observez le graphique : vous avez un جـ à droite. Yooz l’a modifié pour خـ, de sorte que les résultats affichés soient tous relatifs à خنده, ce qui signifie «rire». Cela produit des centaines de liens vers des inepties et des pages de blagues sans intérêt que beaucoup en Iran prennent pour des traits d’esprit et de la satire.
Épuisés, nous avons abandonné Yooz. Il ne sera jamais qu’un simulacre de moteur de recherche dont les fins sont de servir la cause de la dictature islamique d’Iran et de déterminer ce que les citoyens sont autorisés à lire. Comment Yooz sera-t-il accueilli par le public? Sans doute qu’un petit nombre d’Iraniens dispose des notions techniques nécessaires pour le contourner. Mais la plupart des internautes iraniens se contentent de ce que l’Internet halal leur permet de voir et de lire et parvient certainement à les convaincre.
En Iran, la liberté d’expression n’existe pas et les citoyens n’ont pas accès à l’information. Si le dogmatisme islamiste nous interdit la liberté d’expression, que reste-t-il de la liberté ? Du berceau à la tombe, nous sommes tous sous les influences sociales de notre environnement. Se libérer des traditions surannées nécessite de la lucidité, une vision et de la curiosité ; qualités exceptionnelles mais chassées de la culture iranienne et des pratiques sociales aujourd’hui.
En Iran, peu importe le nombre de smartphones, d’appareils permettant de recevoir les chaînes de télévision par satellite et d’experts de l’Internet halal; la majeure partie des gens est instruite par les médias, porte-paroles des ayatollahs, par un Internet pernicieux et par des livres écrits en conformité avec la censure et la consolidation de la propagande islamiste. À partir du moment où avoir une opinion divergeant de l’idéologie dominante est dangereux, l’autocensure et le despotisme domestique sont les règles sociales acceptées comme étant les «bonnes manières».
Aujourd’hui, le nombre d’analphabètes est en baisse en Iran, mais le nombre de personnes à-peu-près lettrés reste très élevé. Ces à-peu-près lettrés, mal informés et ignorants, sont plus enclins à faire des conneries sociales et politiques que les analphabètes. Ils sont de la pâte à modeler dans les mains des ayatollahs leur permettant de forger une société urbaine xénophobe, égoïste et matérialiste.